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Les banquiers en attente de leurs bonus

Les activités de banque de financement et d’investissement (BFI) ont été fortement impactées par la hausse rapide des taux. En jeu, les rémunérations variables au titre de 2023. Et les défis à relever cette année encore par les banquiers d’affaires sont nombreux.

reproduction-revue-banqueRecruter des profils rares, c’est le rôle des cabinets de « chasseurs de têtes » (executive search). Après une année 2022 exceptionnelle en termes de mandats, les spécialistes de l’executive search se sont trouvés face à des clients du secteur de la finance plein d’interrogations face à la hausse rapide des taux d’intérêt et aux risques géopolitiques – avec le conflit en Ukraine dans un premier temps, puis au Proche-Orient. Le nouvel environnement en 2023 a entraîné une baisse d’activité dans certains métiers, un haut niveau d’incertitude quant à l’avenir, une révision des prévisions de profitabilité et de l’allocation des ressources par certaines banques ou des levées de fonds plus difficiles dans le private equity. Ces facteurs sont, entre autres, à l’origine d’une certaine rigidification du marché du recrutement au second semestre de l’année dernière. S’y ajoutent les conditions d’un marché de l’emploi qui reste, en général, un marché de candidats.

Dans ce contexte de hausse des taux rapide, l’ensemble des métiers de la banque de financement et d’investissement (BFI) ont été affectés en 2023.

Si, dans le financement des entreprises, cette hausse des taux est la promesse d’une meilleure rentabilité à terme, elle a créé, dans un premier temps, des difficultés dans les portefeuilles existants, assorties d’une baisse de rentabilité due au déséquilibre temporaire entre rentabilité des actifs et coût du passif. L’environnement économique et la réglementation poussent donc à une plus grande sélectivité et à certains arbitrages favorisant les crédits ESG, ce qui permet aux activités de financement de la transition énergétique (y compris les financements d’infrastructures) de faire preuve d’une certaine dynamique alors que l’on observe un ralentissement du crédit bancaire accordé aux entreprises (une décélération plus marquée pour les grandes entreprises, confirmée par les données Banque de France à fin septembre1).

Les avis divergent

2023 a été une année particulièrement compliquée pour les fusions et acquisitions, avec une baisse significative d’activité, confirmée par les premiers chiffres à fin décembre 2023 qui font état de volumes annuels en baisse, en France, d’environ 13 % (45 % depuis le pic de 2021). C’est l’attentisme qui a prédominé pendant cette année (dans le M&A large cap) : les vendeurs sont restés sur des niveaux de valorisation élevés et refusent les offres qui sont en général très en deçà de leurs attentes. Les décisions d’investissement ont été retardées avec pour conséquence moins de transactions, des délais d’exécution plus longs, des deals globalement plus compliqués. L’activité de restructuring a, par contre, connu une belle dynamique, tirée par des entreprises – y compris de très grandes – confrontées à des pressions financières accrues.

Certains secteurs sont naturellement plus touchés, comme l’immobilier ou la distribution par exemple, d’autres réussissent encore à tirer leur épingle du jeu, comme la santé, l’éducation ou les énergies renouvelables, des secteurs qui œuvrent pour un monde meilleur.

Les perspectives pour 2024 dans le large cap restent quant à elles incertaines et, d’un interlocuteur à l’autre, les attentes pour 2024 pouvant être diamétralement opposées. Dans ce contexte, les banquiers d’affaires attendent leurs bonus avec impatience, mais tous savent que le millésime 2023 ne sera pas un grand cru. Certains effectifs risquent d’être réajustés à la baisse, ce qui est toujours une opportunité pour les challengers de recruter de très bons profils en prévision d’un avenir qu’ils espèrent plus radieux, notamment parce que les fonds de private equity devront déployer leurs capitaux mais également réaliser des cessions de participations.

Le segment des transactions « small & mid cap » tire son épingle du jeu, ces opérations étant moins sensibles à la volatilité des marchés. Le pipeline pour 2024 reste prometteur et les bonus sont attendus, sur ce segment, en ligne avec ceux de l’an dernier. Les jeunes banquiers d’affaires demeurent sollicités et peuvent encore se permettre de faire des choix sans concessions.

Activités de marchés en berne

Les conséquences négatives pour les activités de marchés des banques d’investissement se sont poursuivies en 2023, dans la lignée de celles déjà observées en 2022. Avec une croissance des marchés actions principalement attribuable à l’allocation d’actifs et à la diversification des placements dans un contexte de grande incertitude quant à l’évolution des marchés obligataires, le nombre d’introductions en bourse a sensiblement diminué, affectant particulièrement les petites capitalisations. Cette réduction notable des introductions en bourse (IPO) ou fusions a eu pour conséquence un recul drastique des revenus des banques d’investissement, certaines ayant même dû procéder à des licenciements. À Londres, une baisse des bonus de 20 % à 30 % est d’ailleurs anticipée au titre de 2023.

Les activités des brokers cash equity, notamment l’analyse financière et la vente, n’ont pas été épargnées non plus. Les recrutements dans ce secteur ont été limités, centrés sur d’indispensables remplacements, et une réduction des bonus de 10 % à 20 % est attendue.

Les recrutements reprennent

À la fin de l’année dernière, certaines banques ont élaboré leurs budgets pour 2024 en anticipant un regain d’activité (qui ferait suite à une détente des taux d’intérêt) et une reprise des embauches dès le premier semestre, afin d’honorer les nombreux mandats en attente. Ce scénario, qualifié de « revenge hiring», représenterait une réponse vigoureuse aux périodes de ralentissement antérieures.

Les recrutements dans la BFI vont refléter les attentes des différents acteurs pour 2024, mais aussi les enjeux auxquels elle doit faire face. On pourra citer plus particulièrement :

– la hausse des taux va continuer à modifier la dynamique des prêts : la rentabilité des portefeuilles va s’améliorer avec l’augmentation des taux d’octroi des crédits, mais des difficultés dans les portefeuilles existants et le passif du bilan vont continuer à faire l’objet d’une attention renouvelée en 2024 ;

– les nouvelles technologies changent la façon dont les équipes de BFI peuvent interagir avec leurs clients. Des investissements ciblés peuvent stimuler la productivité et permettre de développer les bonnes utilisations de l’intelligence artificielle (IA) générative ;

– les évolutions de l’environnement réglementaire et de la gestion des risques : la réglementation sur les fonds propres et la hausse des taux d’intérêt ont entraîné une augmentation de la volatilité et de l’exposition au risque pour les portefeuilles BFI ;

– l’augmentation des prêts accordés par les acteurs privés du crédit a des implications significatives pour les BFI. Elles doivent définir des réponses à la montée en puissance des prêteurs directs, d’autant plus que les actifs numériques et la tokenisation pourraient venir perturber un peu plus la structure du marché ;

– la finance durable : des centaines de milliards de dollars seront nécessaires pour financer la transition vers une économie inclusive et durable, ouvrant des opportunités considérables. Pour saisir ces opportunités, les BFI devront se concentrer sur des domaines choisis où elles pourront développer les bons produits et servir au mieux leurs clients ;

– la prise en compte des nouveaux comportements : parmi les facteurs clefs de succès pour le recrutement et la fidélisation figurent une stratégie claire et une marque employeur forte (qui tienne compte des aspirations des jeunes banquiers en termes d’autonomie, de télétravail ou de recherche de sens) ainsi qu’un processus de recrutement transparent et rapide, optimisant l’expérience candidat.

Par Jean CHRISTOPHE, Directeur Général, Vendôme Associés

 

Revue Banque – février 2024

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