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Une lutte d’influence en M&A pour capter des profils confirmés

TABLE RONDE – Les invités de L’Agefi

 

Actualités Emploi 09/03/2017 L’AGEFI Hebdo: « Une véritable lutte d’influence en M&A pour capter les jeunes banquiers confirmés » –

Quatre chasseurs de têtes livrent leurs analyses sur les nouveaux enjeux RH et l’impact de la transformation digitale sur les recrutements.

 

 

Les invités :

Denis Marcadet, Vendôme Associés

Danielle Nassif, Kienbaum Consultants International

Delphine Dubreuil, Singer Hamilton International

Christophe Blanc, Traditions & Associés

Quelles tendances animent le marché de l’emploi des cadres de la finance depuis le début de l’année ?

Denis Marcadet – Après quelques années d’extrême morosité, à l’exception toutefois des métiers de contrôle/risque/conformité, on constate un regain d’activité en banque de financement et d’investissement (BFI). De nouveau, la place parisienne recrute, et pas uniquement des profils juniors, les seuls sollicités ces dernières années ; c’est le cas des fonctions d’accompagnement de la relation client, tel le coverage. Cela concerne les banques françaises – fait nouveau car elles ne sont pas dénuées de ressources internes – comme les banques étrangères. Les métiers transactionnels et de dette ne sont pas en reste : financements spécialisés, activités DCM (debt capital market) offrent des opportunités. Quant à la dette privée, via des fonds spécialisés, elle connaît une forte croissance et des besoins sont exprimés. En M&A (fusions-acquisitions), la demande reste constante, particulièrement pour les catégories intermédiaires comme les vice presidents (VP, six à neuf ans d’expérience) et les directors (dix à quinze ans d’expérience). Par ailleurs, en front-office de marchés, après des années de rétrécissement des équipes parisiennes, nous sommes sollicités, particulièrement côté vente. Une page se tourne : après une période de remise en question, il y a aujourd’hui des recherches concrètes de talents. C’est même le cas dans le trading (pour les profils expérimentés, à partir de sept à huit ans d’expérience sur les marchés), ce qui est assez rare pour être souligné, toutefois sur un volume très limité. Les établissements français comme étrangers sont concernés, les boutiques séduisent. A cela s’ajoutent des réflexions post-Brexit, et la volonté affichée, mais pas encore arrêtée, de certains établissements étrangers, soit de consolider, soit de prendre pied de façon plus marquée sur la place de Paris.

Danielle Nassif – Parallèlement, nous notons qu’il y a encore en 2017 un renforcement de toutes les fonctions liées à la réglementation, à la compliance, au contrôle, à l’audit interne et aux risques. C’est le cas depuis quelques années déjà, mais un fait nouveau se manifeste : une exigence plus forte en termes d’expertise et de spécialisation sur tel aspect des risques par exemple. Auparavant, les institutions financières cherchaient des généralistes ou des professionnels d’autres fonctions capables de s’orienter vers ces activités. A présent, ces métiers se sont sophistiqués. Du côté des banques, notamment des BFI, s’exprime le besoin de faire accéder à ces fonctions des personnes qui comprennent le business mais qui peuvent aussi aider les opérationnels à trouver des solutions, les accompagner. Par ailleurs, nous voyons également des structures de conseil développer des pratiques de regulatory, compliance et risques et, pour cela, aller puiser dans les équipes des banques et des compagnies d’assurances, ou au sein des autorités de réglementation (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Autorité des marchés financiers).

Delphine Dubreuil – Dans ces fonctions risques, compliance, contrôle, etc., les profils choisis ces dernières années n’étaient pas toujours en capacité d’accompagner le business au lieu de le contraindre purement et simplement. Leur rôle s’est limité à brandir un feu vert ou rouge. A présent, les banques, notamment la BFI, tentent de promouvoir à ces fonctions des professionnels qui comprennent les opérations développées par les différents métiers et qui peuvent aider les opérationnels à trouver des solutions adaptées aux problématiques réglementaires et de risques.

Pour en revenir au M&A, les équipes d’exécution sont confrontées à un phénomène aujourd’hui bien visible : le déficit en nombre de profils intermédiaires (creux générationnel lié à la crise de 2008), âgés de 28 ans à 33 ans environ, qui occupent les grades d’associates, VP et directors. Dans nombre de structures, la pyramide des âges est inversée avec une strate d’originateurs surreprésentée (senior bankers et managing directors) par rapport aux plus jeunes. Les boutiques ont particulièrement besoin d’attirer ces profils d’associates et de VP pour assurer la bonne marche de leurs transactions. Nous constatons une véritable lutte d’influence pour capter ces profils, ce qui entraîne une augmentation sensible des rémunérations. Cela étant, il faut rappeler qu’à Paris, les salaires dans le M&A ont tendance à se normaliser. Ils n’atteignent plus les niveaux d’il y a vingt ans. Ce qui pousse les banquiers à porter un regard différent sur leur choix de carrière et la qualité humaine de la structure qu’ils intègrent, car le métier reste très exigeant et il demande énormément d’implication, en tout début de carrière spécialement.

Christophe Blanc – Côté M&A, je remarque une tendance marquée sur le plan de la recherche de talents qui est moins le fait des grands acteurs traditionnels que nous connaissons tous, les banques d’investissement, que des boutiques indépendantes ainsi que des cabinets d’audit et de conseil. Il en est de même pour les corporates qui depuis plusieurs années maintenant nous mandatent pour faire naître ou renforcer leurs équipes de fusions-acquisitions en interne. J’imagine que l’on peut expliquer ce mouvement par une volonté de moins faire appel aux banquiers ou, en tout cas, de mieux contrôler en interne le processus d’exécution. De fait, le marché du recrutement est extrêmement porteur pour les jeunes seniors (VP) bien formés. Dans la configuration actuelle, ils ont le choix de l’employeur et ce sont clairement eux qui dictent le marché. Les signaux sont bien apparents et ce d’autant plus que, au-delà des transferts de banquiers de M&A vers des corporates, d’autres n’hésitent pas à s’orienter vers des projets entrepreneuriaux. L’incapacité des jeunes professionnels du M&A à se projeter à long terme dans ce métier doit d’ailleurs contraindre les banques d’investissement à s’interroger sur les carrières à proposer à leurs collaborateurs.

Un changement de culture est-il en train de s’opérer chez la jeune génération de financiers ?

Danielle Nassif – Oui, incontestablement. La transformation digitale a amplifié ce changement de mentalité, mais d’autres facteurs y ont contribué ces dernières années. L’encadrement des rémunérations dans l’univers bancaire tout d’abord. Avec des bonus plus contraints et réduits, cela change les règles du jeu pour les banquiers, notamment ceux du M&A. Autrefois, leur investissement individuel (les horaires à rallonge, la disponibilité à tout moment, y compris durant les week-ends et les congés, était généreusement rétribuée, il y avait une forme de contrat tacite : on travaille dur, on est récompensé financièrement. Mais avec l’introduction des règles européennes sur les bonus dans les banques (en Europe, les bonus sont même plafonnés depuis 2015), ce contrat est caduc… Un autre élément, plus récent, pousse les jeunes cadres de la finance traditionnelle à s’interroger sur leur carrière : l’arrivée de nouveaux entrants, comme Orange Bank, qui viennent menacer des business models ancestraux et bien installés. Dans ce contexte, les jeunes banquiers « classiques » se posent la question de la pérennité de leur métier et sont de plus en plus attirés par de petites structures, ou de taille intermédiaire, dont le cadre de travail répond mieux à leurs attentes.

Denis Marcadet – C’est un réel sujet RH pour les banques, d’autant qu’en parallèle, les métiers évoluent, mutent. Les jeunes veulent qu’on leur donne envie. Il appartient aux institutions financières de savoir se rendre attractives. A cette fin, adapter, voire repenser, leur business model social afin de pouvoir justement réinscrire les jeunes gens dans la continuité est une priorité. Il y a eu une rupture de cycle. Plans sociaux, absence de mobilité fonctionnelle et géographique, contraintes de rémunérations dans un marché ultra-régulé, et par ailleurs atone ou inexistant, ont conduit de jeunes cadres à reconsidérer leur choix de métier et sectoriel, comme leur avenir professionnel. Nombre d’entre eux ne se projettent plus ni dans leur métier, ni dans une entreprise bancaire, jugée trop rigide dans son mode de fonctionnement, son organisation, et pesante dans son système hiérarchique. L’attrait de structures plus petites, à taille humaine, voire l’entrepreneuriat, est vif. Face à cela, il appartient aux organisations de redéfinir l’environnement dans lequel elles veulent faire grandir cette jeune génération. S’ajoute pour l’entreprise une nécessaire prise en compte du poids de l’intergénérationnel. Dans un contexte de changement des organisations comme des outils, des comportements et des métiers, faire cohabiter et motiver des générations différentes et aux compétences disparates est un sujet de fond. Entre les quinquagénaires, les trentenaires et les jeunes de 25 ans, il n’y a, ni les mêmes savoir-faire, ni les mêmes fondamentaux professionnels, ni les mêmes attentes… Leur appréhension de la carrière professionnelle est différente, la finance d’il y a trente ans n’est pas la finance d’aujourd’hui. Les DRH doivent s’approprier cette mosaïque sociale afin de faire interagir ces différentes typologies de population, et de créer le lien, la motivation. Il faut donner du rêve aux jeunes, mais également entretenir, nourrir celui des autres catégories. C’est là où le milieu bancaire, qui focalise son attention RH sur les 25-35 ans (pourtant de plus en plus volatils) au détriment des autres, se met en risque.

Delphine Dubreuil – Il est vrai que les millennials, selon l’expression maintenant consacrée, ont moins d’intérêt pour les carrières dans les services financiers du fait de rémunérations moins significativement attractives que dans les années 1990-2000. Les politiques RH doivent en tenir compte et attacher plus d’importance à la gestion des carrières à long terme. Leur vision était auparavant plutôt axée sur le court terme. La finance a peut-être été moins attentive que d’autres secteurs à la notion de « marque employeur » et à l’attractivité qu’elle doit susciter chez les juniors qui entament leur parcours professionnel. Il reste beaucoup à faire sur la compréhension des attentes des nouvelles générations afin de contrer la concurrence qu’exerce sur elles la nouvelle économie. Et, en effet, comme le dit Danielle Nassif, les entités à taille humaine ont les faveurs des jeunes financiers : dans la gestion d’actifs, j’en vois beaucoup qui s’enthousiasment pour des projets entrepreneuriaux.

Christophe Blanc – Effectivement, je crois que la génération des diplômés du début de la crise financière a connu les pires difficultés pour trouver un emploi pérenne dans l’industrie financière. Par ailleurs, ils ont assisté, et continuent à les observer d’ailleurs, aux départs plus ou moins « forcés » de leurs aînés dans le cadre de restructurations. Enfin, face à la transformation du secteur et de son business model, les schémas de carrière d’hier ne peuvent plus être les mêmes, et personne à ce jour n’est capable de faire de la prospective en la matière. Il en résulte que les jeunes professionnels de la finance n’ont plus vraiment d’attente à long terme vis-à-vis de leur employeur, et essaient autant que faire se peut de prendre leur destin entre leur mains. Ils n’hésitent pas à « changer de métier », à rejoindre un autre secteur d’activité ou à lancer leur propre activité.

Quel impact a la transformation digitale sur les profils recherchés dans la finance ?

Denis Marcadet – Dans le cadre de la « digitalisation » des activités de la banque de détail, les populations particulièrement convoitées sont clairement les ingénieurs et les mathématiciens. Il y a quelques « marketeurs », mais assez peu. Le contexte de transformation met en exergue le besoin de renforcer les fonctions de sécurisation de données, clés dans les problématiques « digitales ». Des métiers sont convoités, notamment les senior business analysts, le marché est actif pour eux ; à une échelle moindre, les CDO (chief digital officers) ne sont pas en reste. En revanche, les maîtres d’œuvre de la mutation numérique sont, dans les banques, rarement internalisés et, quand ils le sont, ils sont chassés dans l’écosystème digital et non chez les confrères banquiers. Les conséquences de ces mutations sont multiples ; coté retail, les équipes antérieures dédiées à la vente ne répondent plus aux besoins à venir. Pour attirer et motiver les nouvelles générations, l’intrapreneuriat et une organisation du travail en mode « projet » leur sont proposés, loin des schémas pratiqués jusqu’alors. La finance adapte ses règles, ses outils, comme le profil de ses utilisateurs. Aux entreprises traditionnelles de savoir gérer la transformation de ses métiers comme la transition de ses effectifs…

Danielle Nassif – Je constate que cette année les fonctions de transformation sont au cœur des préoccupations des banques et des compagnies d’assurances ; les chief digital officers (CDO), et maintenant les chief data officers, se sont davantage sophistiqués en termes de types de profils. Nos donneurs d’ordre montrent un peu plus d’ouverture sur le background sectoriel des candidats alors que nous avions jusque-là souvent recruté de banque à banque à ces fonctions. Il faut dire que les banques y ont tout intérêt. Elles ont des viviers de talents, mais si elles veulent acquérir un regard neuf et élargir ce pool de talents, il faut qu’elles regardent vers des secteurs qui sont plus matures dans le « digital ». Il y a de nombreux critères de recherche et d’exigence de la part des clients ; ils veulent un candidat qui possède déjà des connaissances dans le « digital », qui éventuellement pourrait connaître un peu le secteur de la finance pour ne pas le découvrir complètement, qui a travaillé au sein d’un grand groupe traditionnel, mais a également eu une expérience de start-up ou entrepreneuriale pour apporter cet esprit disruptif. Pour attirer ces profils non financiers, je pense que les structures qui sont un peu moins mûres en termes de croissance « digitale » ont des projets attractifs à leur proposer. Ces candidats-là vont en effet assez rapidement pouvoir mesurer leur impact au lieu d’être dilués dans la « masse » d’une grande institution financière.

Christophe Blanc – Je note une forme de tâtonnement sur la « digitalisation » et la recherche de nouveaux talents pour conduire cette dernière. Il m’arrive ainsi d’être un peu surpris de l’absence de vision qu’ont nos donneurs d’ordres sur ce sujet. Ils savent qu’il faut passer à la transformation « digitale », mais on voit qu’eux-mêmes ne savent pas encore complètement ce que cela implique comme changements et conséquences pour leurs activités. Donc, aujourd’hui, au-delà du savoir-faire d’un candidat, les grands établissements viennent aussi chercher sa vision. Ils sont en quête d’une personne qui va leur montrer ce que va être réellement leur transformation « digitale ». Certains tiennent à choisir un profil qui a une connaissance fine de l’industrie bancaire/financière mais il y a une vraie tendance à aller chercher des savoir-faire, des expériences professionnelles issues d’autres secteurs d’activité, notamment la grande distribution.

Delphine Dubreuil – Là, on se situe clairement dans un sujet où le rôle du chasseur de têtes ou du conseil en recrutement est primordial. On parlait de « lateral thinking » (pensée latérale), ce sont des stratégies de recrutement qu’il faut construire. Je pense que ces profils « digitaux », ceux qui définissent et mènent les stratégies « digitales », sont des profils évolutifs que l’on peut identifier au sein des organisations elles-mêmes, avec des cadres qui se sont construits durant dix, quinze années de carrière, de façon transversale, sur des projets de transformation impliquant les opérations, les risques, le réglementaire, les systèmes d’information… Finalement, ils arrivent au « digital » de manière assez logique, en connaissant parfaitement bien les rouages des métiers qu’ils ont eu à traiter. Dans ce contexte, le rôle du chasseur de têtes est d’élaborer une stratégie d’identification de ce type de profil transversal et d’évaluer leur capacité à endosser un rôle dans la transformation « digitale ».

Propos recueillis par la rédaction le 16 février

 

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