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Cinq ans après Lehman, comment recrute-t-on un financier ?

Tour à tour taxés de profiteurs ou de boucs émissaires de la crise, les traders et autres brokers se voient contraints de concilier appétit pour le risque et respect des règles.

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Anna Villechenon

Il y a cinq ans, la banque d’affaire américaine Lehman Brothers mettait la clé sous la porte, provoquant un séisme financier d’une rare ampleur. Pointée du doigt, l’industrie financière, et particulièrement la finance de marché et d’investissement, dont les traders et autres courtiers, ont tour à tour été considérés comme les profiteurs et les boucs émissaires d’un système sans morale.

Si la régulation du secteur est en cours, qu’en est-il du recrutement des acteurs de la finance, dont la responsabilité fait toujours débat?

“ÉMERGENCE D’UN DEVOIR DE VIGILANCE”

Pour Rémi Legrand, associé au sein du cabinet de conseil Eurogroup Consulting, le système a changé : “L’accent a été mis sur la capacité du candidat à respecter les règles (“compliance”). Cette sensibilité était très peu développée avant la crise. C’est une forme de réponse des banques, mais elle est encore insuffisante. Il s’agit de faire évoluer les comportements, c’est une question de responsabilité individuelle”, qui passe entre autres, selon lui, par la formation et l’exemplarité au niveau du management.

FMT Consulting, chasseur de tête en finance de marché et en informatique financière, admet “faire beaucoup plus attention à la façon dont le candidat évalue les risques sur le marché et à sa façon de réagir face à des mouvements importants et soudains”, à l’aide notamment de logiciels de simulation, qui évaluent le stress généré par ce type de tâche.

Sauf que la prise de risque fait aussi partie du jeu sur ces postes. “Il est évident que si un trader ne prend pas de risques, calculés bien sûr, la banque ne gagne pas d’argent, souligne Patricia Bravin, fondatrice de FMT Consulting. Le chiffre d’affaires généré par le candidat et la taille de son portefeuille de clients entrent aussi en jeu. Le tout est de trouver une personne expérimentée, bien formée et avec la tête sur les épaules, sachant gérer au mieux ses positions.”

PAS DE “RÉVOLUTION”

Denis Marcadet, fondateur de Vendôme Associés et chasseur de têtes spécialisé dans les métiers de la finance, a de son côté observé une systématisation des tests, souvent à l’aide de logiciels, de la part des établissements bancaires pour les postes techniques, particulièrement en “front office”, dont le recrutement a doucement repris “après trois-quatre ans de disparition”, liée à la réduction des effectifs sur la place bancaire française.

Sélectionner moins de candidats, mais mieux, tel est l’enjeu du recrutement post-crise. “Il y a moins de postes mais aussi moins de candidats. Les grilles de sélection sont plus orientées vers le contrôle des risques, souligne M. Marcadet. Les établissements ont dû beaucoup investir dans ce domaine sous la pression des institutions financières françaises et européennes”, dans le cadre de la réforme du secteur, souligne-t-il.

Pour autant, Vincent Picard, associé au sein du cabinet de recrutement Fed Finance, spécialisé dans la finance, n’a “pas le sentiment qu’il y ait eu une révolution en matière de recrutement. Il y a certes plus de contrôle administratif, comme l’examen des fiches de paie, le casier judicaire, les diplômes. Mais, par exemple, il n’y a pas plus de questions liées à l’éthique, qui reste une valeur subjective impossible à évaluer, contrairement aux compétences ou à la personnalité.”

“UN MONDE TRÈS SOLIDAIRE”

Même s’il est difficile d’évaluer à quel point l’aspect moral est pris en compte par les recruteurs, l’éthique financière est aujourd’hui au cœur de cours spécifiques dans les écoles de commerce. Selon Alain Anquetil, philosophe et professeur d’éthique des affaire à l’Essca, “pour que la sensibilisation des étudiants soit efficace, il est important qu’ils réfléchissent vraiment à la manière dont ils conçoivent le rôle de l’éthique dans leur futur métier”. Pour cela, il faut “traiter les causes de leur propre scepticisme sur la place de l’éthique dans les affaires, avant de leur proposer de bonnes manières de pratiquer leur métier”.

Traitée – trop ? – en amont, alors que l’étudiant n’est pas encore de plain-pied dans le monde professionnel, cette question n’est peu, voire plus du tout, abordée par les recruteurs, qui ont tendance à éviter toute autocritique sur leur rôle dans la crise. “Tout le monde a été touché et a donc un avis sur la question, mais ce n’est pas le sujet d’un recrutement, même si cela peut être évoqué au fil de la conversation”, estime un chasseur de tête, qui parle sous le couvert de l’anonymat.

Un autre n’hésite pas à déclarer que “si un trader met en cause le rôle des établissements financiers, c’est qu’il s’est trompé de métier, car la finance est un monde très solidaire”. Les banques contactées par Le Monde.fr n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

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